Rien ne va plus!
Dans un rapport
publié au printemps 2018,
le Vérificateur général du Canada avait ouvertement critiqué la justice militaire comme
étant inefficace, entachée de retards et en proie à des «faiblesses
systémiques».
À son tour, en décembre 2018 le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes a constaté que les Forces armées canadiennes
n’avaient pas administré le système de justice militaire de manière efficace,
comme en témoignent les retards excessifs tout au long du processus judiciaire.
L’indépendance
de la justice militaire n’est pas aussi au rendez-vous
En août 2020, le
juge militaire en chef adjoint, le lieutenant-colonel Louis-Vincent
d’Auteuil, déclare que son tribunal militaire n’est ni indépendant ni impartial
dans sa forme actuelle. [R c. Crépeau]. Plus tôt cette année, le juge militaire
Pelletier dans R c. Pett; et la juge militaire Sukstorf avaient annoncé
une pareille décision. [R. v. D’Amico]. C’est du jamais vu!
L’étincelle qui a
mis le feu aux poudres est probablement une ordonnance émise en octobre 2019
par le chef de l’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, par
laquelle tous les juges militaires seront dorénavant soumis à l’autorité
disciplinaire du vice-chef d’état-major de la Défense. Tant qu’à moi, je ne
vois rien d’étrange à cela. D’abord, selon l’article 60 (1)(a) de la Loi sur la
défense nationale tous les militaires de la force régulière sont assujettis au
Code de discipline militaire. Encore, selon l’article 4.091(2) des Ordonnanceset règlement royaux le juge militaire en chef ne peut « exercer ni les pouvoirs
ni les compétences » d’un officier commandant une unité ou un commandement en
ce qui a trait à toute question disciplinaire. Selon moi, le CEMD a donc agi
correctement en adressant ce vide juridique. Mais ce qui est remarquable c’est
qu’il a fallu tout ce temps avant qu’on se rende compte que les juges
militaires sont de jure justiciables sous le Code de discipline militaire ce
qui va à l’encontre de l’obligation constitutionnelle selon laquelle les juges,
civils ou militaires, doivent être indépendants de l’exécutif.
En désaccord avec
la décision du juge d’Auteuil, le Directeur des poursuites militaires a d’ores
et déjà demandé à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada de réviser
cette décision. En temps opportun, cette cour d’appel pourra alors décider de
soit renverser ou modifier la décision du juge militaire. Dans un cas comme
dans l’autre il est fort possible qu’une des deux parties ne sera pas d’accord
avec la décision de la cour d’appel. Il est donc aussi prévisible qu’une des
deux parties pourra alors porter sa cause en appel devant la Cour suprême du
Canada.
Il est difficile
d’évaluer le temps d’un tel parcours de temps mais il faut bien se rendre
compte que plusieurs mois vont s’écouler avant d’avoir une décision judiciaire
finale. Pendant cette période qui sera plus ou moins longue, les cours
martiales seront pour toutes fins utiles paralysées. Elles seront ainsi
probablement incapables de rendre justice en temps utile et surtout à
l’intérieur des délais imposés par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Jordan
2016 CSC 27 entre le dépôt des accusations et la tenue d’une cour martiale.
Appel au
nouveau Parlement
Face à cette
paralysie du système de justice militaire, le prochain Parlement pourrait agir
de son propre chef en envisageant une réforme structurelle de la justice
militaire. A titre d’exemple, le Parlement pourrait modifier la loi exigeant
comme critère de qualification que le candidat à la fonction de juge militaire
se dessaisisse de son statut et de son grade militaire une fois nommé juge à la
cour martiale. Alternativement, suivant l’exemple de plusieurs de nos alliés
européens, le Parlement pourrait simultanément considérer l’abolition des cours
martiales et la création d’une nouvelle division militaire ajoutée à la Cour
fédérale. À mon avis, cette alternative serait la meilleure solution, d’autant
plus que la Cour fédérale a des salles d’audience permanentes dans tout le
pays, avec un compliment qualifié de juges bilingues. La création d’une
«division militaire» de la Cour fédérale serait conforme aussi au mandat
initial de la Cour, qui est d’assurer une meilleure administration des lois du
Canada, comme la poursuite des infractions à la Loi sur la défense nationale.
L’indépendance des
juges est une pierre angulaire du système judiciaire canadien. C’est pourquoi,
selon la Constitution, le pouvoir judiciaire est distinct et indépendant des
deux autres pouvoirs du gouvernement, soit l’exécutif et le législatif.
L’indépendance judiciaire garantit que les juges doivent être mesure de rendre
des décisions libres de toute influence et fondées exclusivement sur les faits
et le droit. Tel que décidé dans Valente c. La Reine, 1995 2 RCS 673
Il importe que la
fonction du juge soit «à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou
arbitraire de la part de l’exécutif». Pour ce faire les juges militaires ne
devraient pas détenir un grade militaire ni être soumis aux ordres et aux
directives de la chaîne de commandement militaire.