J’ai lu
avec stupeur le rapport publié le 29 mai 2018 par le Vérificateur général du Canada sur la gouvernance, la structure et l’administration de la justice dansles Forces armées canadiennes.
Au Canada, rares sont de telles interventions faites par
la société civile. Depuis la publication en 1964 d’un Livre blanc sur la défense du
gouvernement libéral [par le Ministre de Défense Paul Hellyer], qui contenait plusieurs concepts originaux et énonçait la
philosophie de base et la justification de l’unification des forces, la gente
politique, d’abord, et ensuite la communauté
académique et le monde juridique se sont tenus à l’écart laissant la
juridiction militaire « être totalement
maître chez lui ! »
Cette situation relève de plusieurs facteurs :
l’éloignement de la classe politique et de la gouvernance publique relatifs aux
choses militaires, la mainmise du Ministère de la Défense sur la justice
militaire et, le prestige particulier dont bénéficie la gente militaire au sein
des affaires publiques. Fort
heureusement, le rapport du Vérificateur général remet de l’ordre et nous
permet de contrer l’idée selon laquelle la justice militaire est entre bonnes
mains, compatible avec nos notions de justice, d’efficacité et de bonne
gestion. Tout au contraire.
Fait
notoire, ce rapport couvre la période allant du 1er avril 2011 au 31
mars 2017. Il accuse l’administration du système de justice militaire,
notamment le Cabinet du Juge-Avocat général (JAG), d’avoir fait preuve d’insuffisance
à son devoir de surveillance ; le tout au détriment des justifiables, nos
soldats qui se mettent en danger pour assurer notre sécurité collective. Par
contre, ce constat ne s’adresse pas au Commodore Geneviève Bernatchez qui est entrée en fonction
comme JAG qu’en juin 2018 en remplacement du Major-général Blaise Cathcart. Cependant, c’est elle qui devra composer avec
ces vestiges d’un système
pénal militaire qui est lourdement rompu et qui n’a pas résisté à l’effet de
vieillissement et d’épuisement. Espérons seulement, que la nouvelle JAG aura un
esprit ouvert, les coudées franches, une indépendance d’action, et une volonté
certaine pour effectuer une complète rupture avec son prédécesseur pour
moderniser la justice militaire et implanter des nouvelles règles juridiques à
une armée d’un genre nouveau.
Ce qui m’agace profondément dans la lecture du rapport
est le fait que, sans exception, chacune des observations et conclusions
offertes fait l’objet d’un commentaire ou d’une réponse du Ministère de la
Défense nationale qui s’empresse à donner son plein aval aux changements
proposés. Ce genre d’attitude me laisse vraiment perplexe, car la mise en
vigueur de chacune de ces recommandations exigera une pensée nouvelle, des
changements en profondeur et des remises en question importantes des assises
mêmes du droit militaire canadien. Pourtant, le Ministère et le Cabinet du JAG,
en particulier, sont notoirement réfractaire à tout changement de cap.
D’autre part, plus souvent qu’autrement, la réponse
offerte par le Ministère suggère que dans un laps de temps relativement court
le Cabinet du JAG va effectuer son propre examen interne sur les questions
soulevées dans le rapport avant d’apporter les mesures correctrices
appropriées. Selon moi, la dernière chose nécessaire dans les
circonstances, c’est d’entreprendre de nouvelles études et examens ; ceci ne
servirait qu’à permettre une valse en trois temps et retarder l’implantation de
mesures correctives. Aussi, de tels commentaires demandent au public de faire
un acte de foi et de laisser le champ libre au Cabinet du JAG pour
trouver sa propre solution et établir son propre échéancier pour réformer et
moderniser le système de justice militaire. Selon moi, le Cabinet du JAG a eu
tout le temps et toutes les chances possibles pour amorcer des changements, ce
qui n’a pas été fait. Qu’y-a-t-il de nouveau cette fois? Comme dit la
devise : « Allons-y ! »
Tel que
discuté ci-après dans certains cas les solutions envisagées par le Ministère
sont aussi, selon moi, superficielles.
A titre
d’exemple, le rapport souligne que le Cabinet du JAG
regroupe 134 avocats militaires dont un petit nombre d’entre eux sont
affectés aux poursuites militaires. Le Vérificateur a déterminé que les
procureurs militaires possédaient en moyenne que 2,25 ans
d’expérience seulement à titre de procureurs. C’est très, très court. La raison
pour cet état de choses nous est aussi dévoilé.
Il appert que Cabinet du JAG accorde plus d’importance à l’acquisition
d’une expérience générale en droit qu’à celle d’une expertise et expérience de
la cour pour les procureurs ou les avocats de la défense.
Donc, les avocats militaires qui plaident devant les
cours martiales sont pour la plupart dénués de véritable expérience pratique.
En
guise de réponse, le Ministère indique qu’une nouvelle politique sera en place
au printemps 2019 – avant la prochaine période d’affectation –
imposant maintenant une période minimale de cinq [5] ans lorsque les
avocats militaires sont affectés à des postes de procureur et d’avocat de la
défense afin qu’ils acquièrent une meilleure expérience en matière de litige. Je
crains qu’ici on manque le bateau complètement. Augmenter le niveau
d’expérience des avocats affectés à des postes en droit pénal militaire de 2 ½
à 5 ans est très loin de l’objectif visé de fournir aux justifiables militaires
un système de justice militaire avec des acteurs tout aussi compétents, rodés
et expérimentés que ceux qui plaident chaque jour devant des instances civiles.
Le système de justice pénale militaire risque donc de continuer de souffrir de
comparaison avec la société civile.
Autre exemple, le Vérificateur
constate que la supervision du directeur des Poursuites militaires et du
directeur du Service d’avocats de la défense exercée par le Juge-avocat général
présentait un ‘risque d’atteinte à
l’indépendance de ces deux postes importants.’ Il indique aussi qu’aucun plan d’action n’a été élaboré en réponse aux recommandations préalablement adressées au
Cabinet du JAG suite à la tenue de deux études externes du système de justice
militaire en 2008 et 2009. Dans son abondante réponse, le Cabinet du JAG promet d’effectuer un
examen exhaustif de ses liens avec le Directeur des poursuites militaires
et le D du Service d’avocats de la défense afin de s’assurer que leur
indépendance au sein du système de justice militaire sont respectée. Attendons voir!
Somme toute, la Loi sur la Défense nationale exige que le JAG effectue des examens périodiques de l’administration de la justice militaire mais, tel que constaté par le Vérificateur général, entre 2010 et 2017, l’ancien JAG en poste durant cette période ne l’avait pas fait. Pire encore, selon le Vérificateur général :
Somme toute, la Loi sur la Défense nationale exige que le JAG effectue des examens périodiques de l’administration de la justice militaire mais, tel que constaté par le Vérificateur général, entre 2010 et 2017, l’ancien JAG en poste durant cette période ne l’avait pas fait. Pire encore, selon le Vérificateur général :
«[Le JAG] n’avait pas examiné ou étudié les processus
des procès sommaires au cours des dix dernières années. Nous avons conclu
que les Forces armées canadiennes n’avaient pas administré le système de
justice militaire de manière efficiente. Nous avons constaté que les divers
processus de justice militaire, tant pour les procès sommaires que pour les
procès menés devant une cour martiale, accusaient des retards. De plus, nous
avons constaté que des faiblesses systémiques, y compris l’absence de
normes de temps et les mauvaises communications, avaient nui au règlement
rapide et efficient des causes relevant de la justice militaire. Nous
avons aussi conclu que le Cabinet du Juge-avocat général n’avait pas exercé une
surveillance efficace du système de justice militaire et qu’il n’avait pas
l’information nécessaire pour le faire de manière adéquate. ».
Donc suite à la pluralité des aspects en souffrance qui sont étalés dans
le dernier rapport du Vérificateur général, il n’est pas surprenant de
constater que ce dernier a fait abstraction des domaines suivants qui relèvent
aussi de la justice militaire. Ces domaines sont aussi en quête d’attention urgente
et de modernisation. Par exemple : 1.
Pour assurer leur complète indépendance de la chaîne de commandement, les juges
assignés aux cours martiales ne devrait pas détenir un rang militaire; 2. La
police militaire ne possède pas l’expertise, les compétences, l’expérience, et,
surtout l’indépendance de la chaîne de commandement pour donner confiance aux
membres des Forces armées; 3. Le système des griefs dans les Forces militaires
est en désordre.
Il y a beaucoup de pain sur la planche.
Mais avec détermination, résolution et persévérance il est possible de
moderniser le tout. Je garde confiance
que le nouveau JAG et sa nouvelle équipe ont le vent dans les voiles.
Vos commentaires sont fort à propos … il reste beaucoup à faire .. le projet de loi C-77 est un bon départ, mais reste à voir comment le tout sera articulé en pratique. Certes les procès pénaux ne sont plus entres les mains des CO, tout de même plusieurs interrogations demeurent:
ReplyDelete- Manquement vs Infraction, un concept mixte pour un même article selon la décision des CO pour les "délits" mineurs et intermédiaires qui seront encore traités administrativement ?
- C-77 stipule implicitement qu'un CO peut déférer au DPM les infractions (26 L’article 165.13) … tout crime ne devrait-il pas être rapporté à la police uniquement pour investigation qui elle soumet le tout au DPM … j'y vois encore une porte ouverte à l'interférence normalisée et d'une forme de double juridiction pénale ... CO et PM ..
- La PM devrait-elle encore envoyer son enquête pénale aux CO pour que ceux donnent suite au DPM ?
Le plus équitable et juste aurait été d'abolir dans la LDN toutes les infractions identiques au CCr et ne maintenir dans la LDN que les infractions de nature militaire et différencier clairement les manquements des infractions d'ordre militaire.
Bref, observons ce qui va suivre ..
D. Touchette