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Monday, April 3, 2017

Le principe du cordonnier mal chaussé

Military judges have been granted some judicial independence as a result of 20 years of costly judicial challenges in court. However Prosecution and Defence Services still operate under the general supervision of the Judge-advocate general. With respect to the enforcement of criminal law, the lawyers in these two Services lack the requisite independence to properly exercise their functions. This runs contrary to the constitutionally entrenched Charter of rights and freedoms.

“Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés.” Ce proverbe français prend sa source dans une réflexion de Montaigne parue dans ses Essais dans les années 1500. Dans le langage courant il signifie qu’on ne profite pas toujours des avantages de sa profession. L’organisation du système de justice pénale militaire opérant sous la supervision du Juge-avocat général s’apparente à celle du cordonnier mal chaussé. Alors qu’il dispose, par son statut, des pouvoirs nécessaires pour faire procéder à la réforme d’un système à la fois boîteux , archaïque et injuste, nous avons plutôt été témoins d’une résistance farouche au changement. En voici quelques exemples.

Il a fallu plus de 20 ans de contestations judiciaires à grands frais avant que les juges des cours martiales n’obtiennent une indépendance qui n’est malheureusement pas complète car, non seulement ont-ils un rang militaire, ils ont de fait un rang militaire (Colonel pour le Juge militaire en chef et Lieutenant-colonel pour ses trois autres juges) inférieur à plus de 150 officiers. En outre, les juges militaires qui désirent se plaindre doivent le faire par la procédure de grief. Le mérite du grief sera alors décidé par le Chef de la défense nationale qui, lui comme les 150 autres officiers supérieurs, sont soumis au Code de discipline militaire et donc appelés, en cas d’infractions de leur part, à comparaître devant les juges militaires pour y être jugés!

La justice ne doit pas seulement être rendue, il faut également qu’elle paraisse être rendue si elle veut être crédible auprès des militaires et de la population en général. Et pour qu’elle soit de fait rendue et, d’une manière toute aussi importante, paraisse également l’être, l’indépendance des juges militaires qui la dispensent est un prérequis essentiel.

Les arrêts R. c. Généreux (1992) 1 R.C.S. 259, R. c. Lauzon 1998 CACM-415 et R. c. Leblanc 2011 CACM 2 témoignent de la résistance farouche de la chaîne de commandement  aux arguments que les cours et les juges militaires ne disposaient pas de l’indépendance nécessaire et requise pour l’exercice de leurs fonctions.

Mais il n’y avait et il n’y a toujours pas que les juges qui souffrent d’un manque d’indépendance quoique, pour ces derniers, des progrès ont été faits grâce à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada. Le constat d’un manque d’indépendance est aussi vrai pour les Services de la poursuite que ceux de la Défense.

De fait les deux services opèrent sous la supervision du Juge-avocat général qui est le chef de la chaîne de commandement légal. Or les avocats au sein de ces deux services voient leur performance évaluée par leurs supérieurs hiérarchiques au sein du bureau du Juge-avocat général. Ils sont aussi tributaires de ce dernier pour leurs promotions, leurs cheminements de carrière et leurs affectations dans les divers services au Canada ou à l’étranger. Or, en matière de poursuites criminelles ou de défense devant les tribunaux pénaux civils, les procureurs de la poursuite et ceux de l’aide juridique relèvent du Procureur Général, lequel jouit en vertu des conventions constitutionnelles d’une indépendance à l’égard du Gouvernement et du Cabinet en ce qui a trait à l’administration de la justice criminelle et pénale. Il n’est et ne saurait dans ce domaine être lié par une décision de l’un ou de l’autre.

Le système de poursuite pénale militaire est un système à deux voies. L’une fonctionne par voie de procès sommaires tenus par des Commandants ou des Commandants supérieurs qui n’ont pas de formation légale, l’autre par le truchement de deux tribunaux militaires, i.e. la Cour martiale permanente où la justice est rendue par un juge militaire seul et la Cour martiale générale composée d’un juge militaire et de cinq militaires d’un rang déterminé selon le rang de l’accusé.

Or voici que la Cour martiale permanente n’a de permanent que le fait qu’elle n’a pas de permanence! Elle se constitue et naît à chaque fois qu’un procès doit être tenu et elle meurt et se dissout avec le jugement qui est rendu.  Le personnel de soutien est un personnel ad hoc. Difficile dans ces circonstances d’avoir une structure organisationnelle et une mémoire institutionnelle lorsque l’institution est éphémère et ne vit que le temps d’une rose.

Pour ce qui est de la Cour martiale générale, le fait que les 5 militaires membres de la formation soient choisis au hasard sans la participation de l’accusé et qu’ils fassent partie de la chaîne de commandement n’offre certes pas les garanties du procès par jury devant un tribunal pénal civil où l’accusé a la possibilité d’interroger les potentiels jurés. Qui plus est. Il est incontestablement plus facile, ne serait-ce que par le simple jeu du nombre, d’obtenir un verdict unanime de 5 personnes qui sont non seulement formées à la même école de pensée, mais qui partagent les mêmes valeurs institutionnelles, que d’obtenir l’unanimité de 12 personnes de formation différente, émanant de divers milieux sociaux et possédant des valeurs sociales et institutionnelles différentes.

Pendant des années les autorités militaires ont su profiter de l’indifférence, et dans certains cas, de l’ignorance du législateur, des politiciens et du milieu académique quant à l’état navrant du système de justice militaire et à l’absence de progrès dans le domaine. Victor Hugo disait; “le Progrès marche”. En ce qui a trait au droit pénal militaire canadien, je me vois contraint de dire au mieux que “le Progrès claudique”.

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